Sollicitée il y a quelques semaines par un de nos partenaires afin de sensibiliser un large public sur les violences faites aux femmes, j’ai eu l’occasion de réaliser la semaine dernière un témoignage vidéo sur le harcèlement sexuel. Un sujet important qui pointe du doigt l'impact du sexisme ordinaire dans l’émergence ou tout au moins l’existence de ces situations. Il nous invite à une mise au point sur les agissements, les conséquences mais aussi et surtout les idées reçues à combattre ou a minima débattre pour avancer efficacement dans la prévention de ces situations.
Les situations de harcèlement, qu’il soit sexuel ou moral, se caractérisent souvent par une répétition d’agissements qui, pris isolément, n’ont aucun impact sur nous (un oubli de « bonjour » un matin), nous font parfois sourire (une réplique de Sacha Guitry lancée en réunion « si les femmes étaient bonnes Dieu en aurait une ! ») voire même nous font plaisir (à la pause un compliment du type « j’aime beaucoup ton chemiser il met tes yeux en valeur »). Pour autant, ces mêmes remarques, répétées fréquemment pendant plusieurs semaines, plusieurs mois voire même plusieurs années, deviennent particulièrement pénibles au même titre que la goutte d’eau qui tombe à intervalles réguliers nous fait perdre la raison !
Dans les situations de harcèlement sexuel on va distinguer plusieurs agissements mis en place par l’agresseur qui, mit bout à bout et dans la répétition, constituent des stratégies (instaurer un climat de confiance avec la victime, puis la dévaloriser, agir par surprise, alterner des périodes calmes et des périodes de pression, l’isoler des autres, l’accuser, la culpabiliser, …). Dans ces conditions la victime se retrouve, petit à petit et souvent inconsciemment, sous l’emprise de son agresseur et a des difficultés à réagir face aux violences.
Contrairement à ce que l’on voudrait croire, dans la plupart des situations l’auteur est tout à fait conscient des actes qu’il commet. Sans être pour autant un pervers narcissique qui prend plaisir à faire souffrir sa victime, l’agresseur impose ses désirs, ses choix, sans tenir compte du refus de l’autre, il nie la victime.
Au bout de quelques temps, quand la situation se dégrade et que la victime finit par réagir et affirme son refus, il arrive souvent que le harcèlement sexuel évolue vers un harcèlement plus psychologique. C’est la stratégie de représailles généralement mise en place par les auteurs de violences sexuelles, quand ils n’arrivent pas à faire céder leur victime.
Bien évidemment les conséquences pour les victimes sont dévastatrices et ce d’autant plus que la situation perdure.
Au moment des violences la victime va passer par une diversité de symptômes possibles : anxiété, troubles du sommeil, désengagement social, ennui, prise de médicaments / addictions, fatigue intense, maux de tête, infections urinaires, douleurs de dos.
Les conséquences sur le plan familial et/ou relationnel sont parfois très lourdes : repli sur soi, irritabilité, déséquilibre vie pro vie perso, refus d’invitation…
L’emprise a pour conséquence de paralyser la volonté de la victime, la personne peut être dans l’incapacité de parler, de bouger. Elle est tétanisée, immobile. Elle reste silencieuse et a l’impression d’être spectatrice d’elle-même. Ainsi, elle peut apparaître aux yeux des autres comme confuse, son comportement peut sembler étrange et ses propos contradictoires.
Pendant les premiers temps, elle ne s’exprimera pas ou peu et se contentera de « tenir », dans l’espoir que la situation s’améliore.
Si rien n’est mis en place et que la situation continue, sans support social, la victime angoisse, repense sans cesse aux agissements, fait des cauchemars qui l’amènent à ne plus dormir, a des pertes de mémoire, des troubles de la concentration, une perte d’estime de soi, un sentiment de perte de compétences, un sentiment de culpabilité, une position défensive de justification, une perte des repères moraux. Pendant ce temps le corps s’exprime à sa façon : perte/prise de poids, problèmes digestifs / cardiaques / gynécologiques, …
La victime est en perte de contrôle, elle a une impression d’impuissance, de ne pouvoir rien faire pour changer les choses, ce qui l’amène à avoir une attitude passive et des difficultés à engager un processus de changement.
Lorsque la victime n’arrive plus, faute de ressource, à améliorer l’organisation du travail, la souffrance au travail s’installe et la victime peut décompenser de différentes façons : dépression, paranoïa, etc.
A posteriori, même quand la situation est terminée, les violences vécues laissent des traces, comme des cicatrices qui forment un traumatisme secondaire. Celui-ci fragilise l’individu et modifie ses convictions de base, parfois de façon irrémédiable.
Dans le milieu professionnel qui fonctionne comme un système à part entière, une situation de harcèlement générera systématiquement des dommages collatéraux :
Au niveau de l’équipe, on notera une dégradation progressive de la coopération et des espaces d’échanges (pauses cafés, repas …). Ainsi les opinions ne s’expriment plus, des conflits émergent (les « pour » et les « contre »), le travail ne se coordonne plus, s’appauvrit et le collectif se démobilise et a posteriori culpabilise de ne pas avoir réagi plus tôt.
Au niveau du travail et de l’organisation, on observe entre autres une baisse de la qualité du travail, un absentéisme en hausse, une charge de travail qui se répercute sur les autres, des départs avec parfois des difficultés à remplacer le personnel, des plaintes, une image de l’entreprise qui se dégrade, des coûts juridiques …
Tous les acteurs de l’entreprise, du collègue proche en passant par le stagiaire, l’encadrement ou encore la direction, ont non seulement un intérêt mais plus encore, un rôle à jouer dans la prévention, au plus tôt, de ces situations.
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Beaucoup d’idées reçues gravitent autour du harcèlement et des violences au travail et ont pour conséquences de renverser la responsabilité sur les victimes, de banaliser les agissements et de leur trouver des justifications. C’est pourquoi les victimes se sentent rarement légitimes à refuser et dénoncer certains agissements.
Mais pourquoi développons-nous volontiers des stéréotypes alors même qu’ils brident notre réflexion en brouillant nos repères ? La confrontation à des violences sexistes, et plus encore à des violences sexuelles, génère chez chacun d’entre nous un sentiment compréhensible de malaise et de déni : nous refusons d’admettre que cela existe si proche de nous, parfois même sous nos yeux. Alors nous développons des clichés pour nous protéger des violences, pour nous rassurer.
Il est temps désormais d’ouvrir les yeux et d’accepter la réalité des situations telle qu’elle est et non comme on préférerait qu’elle soit !
Voici un résumé des principales idées reçues qui nous empêchent de traiter efficacement la problématique du harcèlement sexuel.
«C’est elle qui l’a cherché» ou encore «C’est normal, les hommes ont des pulsions»
En pointant du doigt par exemple la tenue de la victime c’est une manière de rendre la victime responsable de l’agression et de déresponsabiliser (voire même insulter) les hommes en considérant qu’ils ne sont pas capables de se contrôler !
«À sa place moi j’aurai dit non avant »
Cette approche met finalement complétement de côté l’agression en tant que telle et le comportement de l’agresseur en mettant au premier plan celui de la victime et ses capacités à réagir. Cela revient à rendre coupable une femme qui s’est fait voler son sac parce qu’elle n’a pas résisté ! C’est rejeter la responsabilité sur la victime, en partant du principe, erroné, qu’elle devrait pouvoir contrer l’agression. Cela revient aussi à rendre coupable une femme qui s’est fait cambrioler parce qu’elle a ouvert sa porte ! Car c’est également ignorer que l’agresseur a souvent mis en place une stratégie visant à positionner la victime de telle façon qu’elle ne peut immédiatement comprendre ce qui lui arrive et donc réagir comme elle l’aurait souhaité.
D’autres idées reçues découlent finalement de ce qu’on appelle le sexisme « ordinaire » qui se définit comme « l’ensemble des attitudes, propos et comportements fondés sur des stéréotypes de sexe, et qui, bien qu’en apparence anodins, ont pour objet ou pour effet, de façon consciente ou inconsciente, d’inférioriser les femmes de façon insidieuse voire bienveillante »[1].
«Elle n’a pas d’humour»
Au-delà de banaliser les ressentis des femmes en les faisant passer pour des « coincées », cette idée reçue laisse entendre que les blagues sexistes et/ou à connotation sexuelle, les images grossières et les propositions/allusions sexuelles contribueraient à «détendre l’atmosphère» !
« C’est pas si grave que ça ! » « Tu ne crois pas que t’exagères un peu là ?! »
Chacun va réagir à sa façon en fonction de sa personnalité, de son histoire, du contexte de travail… et les limites acceptables pour l’une ne sont pas les limites de l’autre. Ces remarques occultent le ressenti de la victime alors qu’elle seule sait ce qu’elle a vécu et personne n’a à en juger.
«Des compliments sur votre tenue, sur vos yeux ou vos cheveux ? Ça ne fait pas de mal… vous devriez être flattée»
Ce présupposé laisse entendre que l’on pourrait confondre violence et séduction et que la frontière entre les deux est floue. En réalité, ce sont des situations fondamentalement opposées. L’une est positive, respectueuse et égalitaire, l’autre est imposée et vécue négativement.
Pour conclure, ces situations mettent en jeu de multiples mécanismes, il n’y a pas de profil type d’agresseur comme il n’y a pas de profil type de victime, toute femme peut (tout comme les hommes d’ailleurs mais cela fera l’objet d’un autre article), à un moment donné et pour de multiples raisons, se retrouver victime de violences au travail. Le constat est clair, les femmes, comme les hommes, ne sont pas assez sensibilisés sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Le sexisme ordinaire doit être évoqué sans tabou pour donner des repères, générer des prises de conscience et tendre vers des relations femmes / hommes plus saines et plus justes.
Juliette LOEZ - Consultante TOIT de SOI - psychologue du travail
Liens utiles
https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/kit-sexisme.pdf
https://femmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2015/03/RAPPORT-CSEP-V7BAT.pdf
https://www.medef.com/uploads/media/node/0001/13/5f3a4a7a434d21c79920e73f1d289986288f0eef.pdf
https://veille-travail.anact.fr/
Une question ? 03 20 739 526
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[1] Rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, « Le sexisme dans le monde du travail. Entre déni et réalité », mars 2015
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